L’intelligence artificielle, meilleure que le médecin dans tous les domaines ?
L’intelligence artificielle a battu l’humain aux échecs en 1997 puis en 2016 au jeu de go. Est-ce que 2025 sera l’année de la victoire de l’IA sur le médecin ?
Les études ont dans un premier temps montré la supériorité de la machine pour les situations médicales simples, l’humain étant meilleur pour les cas complexes. Ce paradigme est probablement en train de changer, les dernières recherches montrant la puissance de l’AI pour les diagnostics mais aussi, plus troublant, pour ce qui est de la qualité de la relation.
Deux études publiées dans Nature en avril 20251,2 mettent en lumière les avancées significatives de l’intelligence artificielle (IA) dans le domaine du diagnostic médical. Ces recherches présentent l’Articulate Medical Intelligence Explorer (AMIE), un grand modèle de langage (LLM) conçu pour assister les cliniciens dans l’élaboration de diagnostics différentiels. Les résultats suggèrent que l’AMIE pourrait devenir un outil puissant pour améliorer la précision diagnostique.
L’AMIE est un LLM développé spécifiquement pour le raisonnement diagnostique en médecine. Il a été entraîné sur une variété de données médicales, y compris des dialogues cliniques et des résumés de dossiers médicaux électroniques, afin de simuler des interactions médecin-patient réalistes. L’objectif était de permettre à l’AMIE de participer à des dialogues diagnostiques, en posant des questions pertinentes et en proposant des hypothèses diagnostiques fondées.
La première étude a évalué l’AMIE dans des consultations textuelles simulées avec des patients-acteurs, comparant ses performances à celles de médecins généralistes. Les résultats ont montré que l’AMIE surpassait les cliniciens dans 30 des 32 critères évalués par des spécialistes, y compris la précision diagnostique, la pertinence des questions posées et l’empathie perçue par les patients. Les patients-acteurs ont également préféré les interactions avec l’AMIE dans 25 des 26 critères évalués.
Premier enseignement à tirer, l’intelligence artificielle s’est montrée supérieure pour ce qui est de la précision diagnostique mais aussi dans la qualité de la relation.
La deuxième étude a examiné l’impact de l’AMIE sur la performance diagnostique de cliniciens confrontés à 302 cas médicaux complexes tirés de rapports de cas publiés. Les cliniciens ont d’abord établi un diagnostic différentiel sans assistance, puis avec l’aide de l’AMIE ou d’outils de recherche traditionnels. Les résultats ont révélé que l’AMIE améliorait significativement la qualité, la pertinence et l’exhaustivité des diagnostics différentiels par rapport aux cliniciens non assistés ou utilisant des outils de recherche classiques.
Deuxième enseignement à tirer, l’IA s’est montrée supérieure que le duo médecin avec IA. Une conclusion pour le moins déstabilisante.
Les implications potentielles sont importantes : une amélioration de la précision diagnostique, une amélioration de l’accès « aux soins » grâce à une disponibilité 24/7 de la machine mais aussi de facto l’obligation de repenser la formation des professionnels de la santé et même leur rôle. Cependant, des limites subsistent, notamment la dépendance aux données d’entraînement, l’utilisation dans ces études du mode textuel uniquement, et surtout la nécessité de validation clinique dans des contextes réels.
- Tu, T., Schaekermann, M., Palepu, A. et al.Towards conversational diagnostic artificial intelligence. Nature (2025).https://doi.org/10.1038/s41586-025-08866-7
- McDuff, D., Schaekermann, M., Tu, T. et al.Towards accurate differential diagnosis with large language models. Nature (2025). https://doi.org/10.1038/s41586-025-08869-4

Image. Médecin, patient et intelligence artificielle: un trio heureux ?
L’IA médicale dépasse le médecin : faut-il repenser notre rôle ?
Les résultats issus des études publiées dans Nature sur le modèle AMIE ne peuvent être interprétés comme de simples avancées technologiques. Ils signalent un changement de paradigme profond, dont les implications s’étendent bien au-delà du diagnostic.
Ce qui est frappant, c’est que l’IA seule, dans les tests réalisés, surpasse non seulement les médecins humains, mais aussi les binômes médecin + IA. Cette contre-intuition, relevée par plusieurs experts, met en lumière un problème fondamental : nous n’avons pas encore appris à collaborer efficacement avec une intelligence qui excelle là où nous sommes traditionnellement compétents.
Par conséquent, plusieurs enjeux émergent de façon urgente :
- Former les médecins à une véritable culture du travail collaboratif homme-machine, où le praticien ne reste pas l’utilisateur final, mais devient le coordinateur d’un raisonnement partagé.
- Adapter les cursus et les référentiels de compétence, pour intégrer les logiques d’interaction avec des IA hautement spécialisées.
- Encadrer juridiquement et éthiquement l’usage de ces systèmes autonomes, notamment lorsqu’ils sont amenés à fournir des diagnostics en première ligne.
- Préparer les institutions médicales à une transition dans laquelle la médecine de premier recours pourrait se voir partiellement automatisée — avec tous les enjeux en matière de délégation, de responsabilité et de confiance que cela implique.
Ce n’est pas la qualité des soins qui est en danger. C’est notre capacité, en tant que corps médical, à prendre la mesure de cette révolution et à la gouverner intelligemment. Les systèmes de santé doivent intégrer l’IA non comme une menace, mais comme une opportunité. Les potentialités sont nombreuses, les incertitudes et les dangers aussi.
Jean Gabriel Jeannot, le 07.05.2025
Pour aller plus loin
Consultez notre guide l’intelligence artificielle pour les médecins. Le but de cette rubrique est de transmettre aux professionnels de la santé les informations de base qu’ils doivent connaître sur l’intelligence artificielle, en particulier sur la forme dont on parle le plus actuellement: l’intelligence artificielle générative (donc sur des outils comme ChatGPT). Cela signifie connaître les applications utiles aux médecins, qu’ils sachent comment les utiliser, mais aussi qu’ils en connaissent les limites et les dangers.