Priorités inversées : l’armée avant la santé ?
En Suisse aussi, les choix budgétaires sont politiques. Très politiques. Alors que le Parlement vient de confirmer une augmentation significative du budget de l’armée pour les prochaines années — 3 % de croissance réelle en 2025 et 2026, et 5,1 % en 2027 — les coupes dans les budgets alloués à la santé publique, à la prévention et à la promotion de la jeunesse se multiplient. Il serait peut-être temps de nous demander si cette réorientation budgétaire correspond réellement aux attentes des citoyennes et des citoyens… et surtout, si elle est compatible avec une vision responsable, durable et humaine de notre société.
L’armée, grande gagnante du budget fédéral
Depuis quelques années, sous l’impulsion du Département fédéral de la défense (DDPS), les investissements militaires helvétiques connaissent une croissance inédite. Le Parlement a ainsi validé un plan de renforcement des capacités de l’armée pour « faire face aux nouvelles menaces sécuritaires », moderniser ses équipements, et renforcer sa capacité de défense.
Mais à quel prix et avec quelle efficacité ?
Les scandales récents montrent que les dépenses militaires ne sont pas synonymes d’efficacité. L’achat des drones israéliens Hermes 900, en proie à des retards, à des pannes à répétition, et à une absence totale d’intégration opérationnelle, pourrait être tout bonnement abandonné. Quant aux avions de combat F-35, leur coût pourrait exploser d’un milliard supplémentaire par rapport au budget prévu. Ironie amère : face à ce surcoût massif, le chef de l’armée envisage… d’en acheter moins. Autrement dit, on fixe le nombre d’avions non pas en fonction des besoins militaires réels, mais en fonction des dépassements de crédit.
Le message implicite : nous devons payer — beaucoup — pour une armée modernisée, mais même ceux qui la dirigent ne savent pas très bien à quoi ressemblera le résultat final.
Pendant ce temps, la santé publique recule
Et la santé dans tout ça ? Pendant que les militaires obtiennent des rallonges, la santé publique, elle, encaisse les coupes.
L’exemple de Tox Info Suisse, centre antipoison indispensable à notre système de santé, est emblématique. Menacé de fermeture faute de financement suffisant, il n’a reçu aucun soutien supplémentaire de la part de la Confédération. Les autorités invoquent une « situation financière tendue ». Une excuse difficilement acceptable, lorsque l’on sait que les montants nécessaires pour sauver cette institution sont sans commune mesure avec ceux engloutis dans des avions de chasse ou des systèmes de drones inopérants.
Autre exemple criant : Jeunesse+Sport. Ce programme essentiel à la santé physique et mentale des jeunes helvètes, à la promotion du sport éthique, et à la prévention des comportements à risque, subit des coupes de 20 %. Oui, 20 % en moins pour l’activité physique encadrée des enfants et adolescents. Où est la logique ?
Et ce n’est pas tout. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP)devra, dès 2025, réduire drastiquement ses activités : moins de prévention des infections associées aux soins, de vaccination, de campagnes contre le VIH et autres infections sexuellement transmissibles. Moins de prévention, alors que le coût des maladies chroniques ne cesse d’augmenter. Moins de santé publique, alors que le vieillissement démographique et les inégalités sociales de santé s’aggravent.

Image. Dans la santé, les coupes sont nombreuses: OFSP, Tox Info Suisse, J+S…
Des choix budgétaires qui en disent long
La question est donc posée : quelle société voulons-nous construire ? Celle qui consacre chaque franc économisé dans la santé à l’achat d’un matériel militaire coûteux, parfois défaillant, et dont la stratégie de déploiement reste floue ? Ou une société qui considère que promouvoir la santé, prévenir les maladies, éduquer les jeunes, garantir un accès aux soins de qualité est un investissement, et non un coût ?
Il est permis, voire nécessaire, de s’interroger : ces décisions politiques reflètent-elles les attentes de la population ? Rien n’est moins sûr. En Suisse romande en particulier, le modèle social et solidaire reste une valeur largement défendue. Et pourtant, la direction prise par nos autorités s’éloigne peu à peu de ce modèle.
De nombreux Suisses critiquent les excès militaristes des États-Unis, ou la politique sociale destructrice de Donald Trump. Mais sommes-nous bien certains d’en être si éloignés ? Quand la Confédération coupe dans la prévention, la formation des jeunes, et les institutions sanitaires tout en injectant des milliards dans une armée mal gérée, le doute est permis.
Une alerte à prendre au sérieux
Ce débat n’est pas idéologique. Il est éminemment pragmatique. Pour nous, médecins, professionnels de la santé, responsables d’institutions ou simples citoyens, la question de l’allocation des ressources publiques est fondamentale. Le moment est certainement venu de rouvrir le débat démocratique sur les priorités budgétaires de notre pays. Est-il raisonnable d’investir massivement dans l’armée alors que la gestion des fonds y est régulièrement critiquée, et de couper dans la prévention et la santé ? Ce choix politique correspond-il vraiment aux attentes des citoyens suisses, ou traduit-il une déconnexion croissante entre les élus et la société civile ?
Cet article, même s’il est critique, a comme unique objectif d’ouvrir un débat sur ce sujet : quelle société souhaitons-nous, quelles sont nos priorités ?
Jean Gabriel Jeannot, le 16.07.2025
Messages à retenir
- Les investissements militaires connaissent en Suisse une croissance inédite, des dépenses qui ne sont pas toujours synonymes d’efficacité.
- Dans le même temps, le monde de la santé, en particulier celui de la prévention et de la promotion, subit des coupes budgétaires importantes.
- Quelle société voulons-nous construire ? Celle qui investit dans la sécurité, dans l’armée ou celle qui considère que promouvoir la santé est un investissement, et non un coût ?
- Si vous souhaitez signer la pétition pour stopper la réduction des subventions J+S, c’est ici !
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