Pourquoi les médecins sont-ils épuisés ?

L’épuisement est-il fréquent chez les médecins ? Ce phénomène est-il en augmentation ? Quelles en sont les causes ? Surtout, comment y faire face ?

Quelques chiffres (effrayants)

Quelques chiffres publiés dans un article de la Tribune de Genève (Médecins au bord de la crise de nerfs) permettent de mieux comprendre l’ampleur du phénomène.

  • Les professions médicales sont associées à une majoration du risque de décès par suicide de 44 % par rapport aux autres secteurs d’activité. Les femmes médecins sont encore plus fragilisées.
  • Plusieurs études récentes indiquent en effet que les médecins suisses sont particulièrement à risque. Entre 20 et 40 % d’entre eux montrent des signes de burn-out. 
  • Les statistiques de ReMed montrent une augmentation régulière des demandes d’aide, avec actuellement environ 250 médecins par année appelant au secours, contre 170 avant la pandémie de Covid-19 et seulement 83 en 2012. Soixante pour cent des appels proviennent de médecins hospitaliers.

Donc oui, l’épuisement est un problème important chez les médecins, oui il est en augmentation.

De multiples raisons

Cette situation est grave, bien évidemment pour les médecins concernés, mais aussi pour leurs patients, qui risquent d’être moins bien soignés. Les raisons de cet épuisement sont malheureusement multiples.

Premier élément assez basique, les médecins, lorsqu’ils souffrent, ont de la peine à demander de l’aide. Les cordonniers sont définitivement les plus mal chaussés. Les médecins sont là pour les autres, pour leurs patients : « Qui s’occupera de mes patients si je tombe malade ? ». Deuxième élément, aussi assez basique, les médecins sont en permanence confrontés à la maladie, à la souffrance, parfois à la mort. Il faut donc être solide pour continuer, jour après jour, à répondre aux sollicitations des patients.

Il y a malheureusement mille autres raisons : des horaires irréguliers, le risque d’un empiètement sur la vie privée, la pénurie de médecins avec une conséquence qui peut être assez simple : soit ne plus accepter de nouveaux patients, ce qui va contre les convictions du médecin, soit prendre le risque de finir en burn-out.

Même si, comme le montre le témoignage du Dr Jean-Pierre Randin, cette situation n’est pas nouvelle, elle s’est aggravée au fil des années. Même s’ils exercent en théorie toujours le même travail, le quotidien des médecins a changé. Autour d’un patient, les intervenants sont toujours plus nombreux et les soins se sont accélérés. L’angor ne se traite plus par trois semaines d’hospitalisation avec une mobilisation progressive. Maintenant c’est urgences – coronarographie – retour à la maison. Même les patients ont changé. On doit bien sûr se réjouir qu’ils jouent un rôle plus actif dans la gestion de leur santé, mais leur expliquer que ce qu’ils ont trouvé sur Facebook ou sur TikTok n’est pas forcément exact prend du temps et de l’énergie.

Image. Plusieurs études récentes indiquent en effet que les médecins suisses sont particulièrement à risque. Entre 20 et 40 % d’entre eux montrent des signes de burn-out. 

Le manque de sens

Chacun des problèmes mentionnés ci-dessus peut bien sûr générer un épuisement mais il y en a un qui est probablement plus dévastateur encore, c’est l’obligation de devoir exécuter des tâches qui n’ont pas de sens. Ce phénomène touche probablement plus encore les médecins en formation, ce qui pourrait expliquer pourquoi, après avoir terminé leurs études, certains quittent la profession, dégoûtés, après quelques années seulement. Les journées des médecins sont constituées d’innombrables actes, la plupart administratifs, qui ont peu d’utilité. Si notre système de santé fonctionnait mieux, la plupart de ces actes n’existeraient pas.

Demander de l’aide

Si vous êtes dans une situation de souffrance, demandez de l’aide. Par exemple à ReMed, le réseau de soutiens pour médecins. Si vous souhaitez en savoir plus sur ReMed, savoir comment ce réseau de médecins peut vous aider, ou l’un de vos collègues, lisez l’article ReMed : le réseau de soutien des médecins.

 

Jean Gabriel Jeannot, le 02.11.2024

NB: Si vous avez des exemples d’actes inutiles qui surchargent inutilement les médecins et les épuisent, merci de les énoncer dans un commentaire. 

Le burnout du médecin

Tu es professionnel de santé, tu te regardes vivoter depuis des mois, tel un zombie conscient, mais tu tiens. 

Parce qu’un soignant, ben ça doit tenir. Ils vont dire quoi sinon tes patients, tes collègues, tes amis, ton mari, ta femme, tes enfants, tes voisins, la postière et la dame de la cafét ? “ Tiens, il est où machin ?”. Donc tu restes.

D’abord, tu passes par un stade d’hyperactivité, il te manque du temps, tout le temps. Mais comme tu es “bon élève”, tu continues à tout donner, tu attends une reconnaissance qui ne vient jamais, tu t’épuises à la tache car tu es consciencieux, appliqué(e), tu as le sens du travail bien fait et puis il n’y a aucune alternative…de toute façon…donc tu restes…

Puis tu te sens vidé, épuisé. Tu prends un jour off, tu reviens de vacances mais la fatigue reste la même qu’avant. Tu te dis que c’est pas grave, un p’tit manque de fer surement, tu prends toutes les vitamines du pharmacien, des soins énergétiques chez une super thérapeute qu’on t’a conseillé, et ça ira mieux demain… Donc tu restes.

Puis tu deviens indifférent aux autres, même un peu cynique. Les patients deviennent des numéros de chambre, des actes techniques, des diagnostics.

Puis tu commences à développer des maux bizarres, t’as mal de partout, ton cerveau tourne comme un vieil ordinateur qu’on a débranché et qui mouline sans cesse, tu ne dors pas. Tu commences à boire un verre de trop le soir pour te détendre et tu te dis qu’au moins tu dormiras mieux. Puis t’en bois deux, trois et ça te fait du bien. Au moins ça te permet d’être ailleurs un moment. Et le lendemain, tu y retournes et tu restes.

Et puis un jour, tu ne vois plus de sens à ton job, ta vie n’est qu’une succession de métro-boulot-dodo sans aucune reconnaissance, tu n’as rien a dire dans ton service, aucun merci, les patients t’insupportent, tes collègues ne te reconnaissent plus et te font des remarques, tu te sens exclu, on te mets encore plus la pression et le cercle vicieux se referme sur toi. Alors tu te dis à quoi bon tout ça ? Et tu pars, des fois pour ne jamais revenir…

Le burn out n’est pas juste un coup de fatigue, un mot à la mode, un stress passager. C’est bien plus que tout ça. Et ceux qui ne l’ont pas vécu ne peuvent pas en juger.

Texte de la Dre Hélène Heuninckx, médecin & coach certifiée. Experte en prévention et traitement du burn-out pour les soignants.