Communiquer par mail avec ses patients, oui ou non? La position de la FMH
Pour essayer de répondre à cette question « Communiquer par mail avec ses patients, oui ou non ? Et si oui, comment? », nous allons procéder étape par étape jusqu’à obtenir la réponse la plus complète possible avec l’objectif ultime de pouvoir transmettre des conseils, voire des recommandations, aux médecins romands.
Le premier article de cette série “Communiquer par mail avec ses patients, oui ou non ? Et si oui, comment ?” a été publié le 04.09.24.
La position de la FMH
On trouve sur la page eHealth de la FMH une rubrique télémédecine mais il n’y figure aucune information sur ce sujet de la communication électronique médecins – patients. J’ai cependant pensé trouver la réponse à mes interrogations dans un article publié le 17 juillet dernier dans le Bulletin des Médecins suisse. Son titre ? Médias sociaux, services de messagerie et activité médicale. Personnellement, je trouve que les médias sociaux et les services de messagerie devraient être traités séparément, mais on doit tout de même se réjouir que la FMH publie à ce propos.
Les auteurs se réfèrent à l’annexe 2 au Code de déontologie FMH – Directives pour l’information et la publicité et aux recommandations sur les médias sociaux publiées sur le site de la FMH.
Pour ce qui est des conseils de messagerie, on peut lire dans cet article :
- L’utilisation des services de messagerie doit se faire dans le strict respect des dispositions légales et des règles déontologiques.
- Il convient de définir quels services de messagerie seront utilisés pour communiquer avec les patients et de le communiquer clairement.
- Les services de messagerie peuvent être utilisés pour la communication entre professionnels de santé, mais dans le strict respect des dispositions relatives à la protection des données.
- En cas d’utilisation de services de messagerie, il convient de communiquer quels sont les contenus électroniques acceptés et les conditions de leur traitement.
- Toute donnée sensible, personnelle et/ou médicale, doit être protégée de manière systématique et permanente par des technologies de chiffrement en cas de transmission au moyen de services de messagerie.
- Lors de demandes de contact via des services de messagerie, il est recommandé de vérifier l’identité de la personne à l’origine de la demande et d’éviter de divulguer des informations personnelles sans avoir vérifié au préalable la fiabilité du contact.
Certains de ces conseils sont certes importants (« l’utilisation des services de messagerie doit se faire dans le strict respect des dispositions légales et des règles déontologiques ») mais cela ne nous donne pas vraiment, à nous médecins sur le terrain, de conseils utiles pour décider si nous communiquons avec nos patients par courriel, soit pour leur transmettre des informations, soit pour répondre à leurs questions. Le seul conseil qui parle des patients est « Il convient de définir quels services de messagerie seront utilisés pour communiquer avec les patients et de le communiquer clairement ».
On peut aussi lire dans cet article la position de ses auteurs :
« Les services de messagerie ne devraient être utilisés que pour l’administratif et après avoir obtenu le consentement de la patiente ou du patient ».
Cette position a l’avantage d’être claire : aucune communication électronique médecins – patients pour des questions médicales.
La réponse de la FMH
J’ai demandé à la FMH si la déclaration « les services de messagerie ne devraient être utilisés que pour l’administratif » reflétait la position de la FMH.
Vous trouverez ci-dessous la réponse reçue, très complète :
Les Recommandations de la FMH sur les médias sociaux et le passage que vous citez ont été approuvés par le Comité central de la FMH.
-
- En partant du principe qu’un courriel standard est une carte postale, la communication de données aussi bien courantes que, a fortiori, sensibles (= données de santé) par ce canal constitue une violation de la protection des données (mais aussi du secret médical !! RS 311.0 – Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (admin.ch)).
- Toutefois, les médecins peuvent utiliser ce canal électronique non sécurisé avec le consentement de la patiente ou du patient.
En présence d’un consentement, les médecins ont en effet juridiquement le droit de communiquer des données personnelles aussi bien courantes que sensibles par courrier électronique non sécurisé (p. ex. bluewin/gmail) sans pour autant enfreindre la protection des données ou le secret médical (art. 321, al. 2, du Code pénal). Cf. aussi le site internet du Préposé fédéral à la protection des données : Données patient – communication (admin.ch).
La FMH préconise néanmoins depuis longtemps, et ce même en présence d’un consentement de la patiente ou du patient :
De réserver les canaux non sécurisés à la communication de données personnelles de nature purement administrative (p. ex. prises de rendez-vous, correspondance neutre de type « Votre ordonnance est prête, vous pouvez venir la chercher »).
D’utiliser un canal sécurisé (p. ex. Hin-Global-Mail, IncaMail de la Poste, autres plateformes) pour la transmission de données de santé (maladie/symptômes, diagnostics, procédures, rapports médicaux, courriers pour les assurances, résultats d’imagerie ou de laboratoire, etc.).
Ces recommandations ont fait l’objet d’une vérification lors de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur la protection des données.
Un élément essentiel est donc qu’il faut obtenir le consentement du patient, la FMH propose d’ailleurs un texte dans le formulaire pour les patient-e-s (déclaration de consentement) :Je suis conscient-e des risques potentiels liés à l’échange de données personnelles sensibles (consultation possible par des tiers non autorisés en cas d’utilisation d’outils de communication peu sûrs) ainsi que de mes droits. Je consens à un contact mutuel entre ma ou mon médecin et moi-même en tant que patiente ou patient au moyen des indications de contact figurant ci-dessus. Le cabinet médical transmet les informations concernant les patients exclusivement par des voies de communication sécurisées. Je suis d’accord pour que les questions administratives, telles que les reports de rendez-vous, transitent via des courriers électroniques non chiffrés (d’une adresse @hin vers une adresse de destinataire comme @bluewin.ch, @gmail.com etc.).
Un consentement qui peut être informelPour les médecins qui transmettent des informations médicales à leurs patients, un point est important, ce consentement n’a pas besoin d’être écrit, il peut être informel. Le service juridique de la FMH nous a confirmé que si un patient écrit à son médecin depuis une adresse non-sécurisée avec un contenu médical, le médecin peut répondre par une voie voie non-sécurisée.
Messages à retenir
- Cette question de l’échange de mails soignants – soignés est un sujet qui concerne la plupart des médecins (et leurs patients) mais il existe peu de recommandations sur ce sujet. A eux de se débrouiller.
- Pour la FMH, les services de messagerie ne devraient être utilisés que pour des questions administratives. Elle précise cependant qu’il est possible d’y recourir pour la transmission de données de santé en utilisant des canaux sécurisés et avec le consentement du patient. Ce consentement peut être informel.
Image. En présence d’un consentement, les médecins ont en effet juridiquement le droit de communiquer des données personnelles aussi bien courantes que sensibles par courrier électronique non sécurisé (p. ex. bluewin/gmail)
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Jean Gabriel Jeannot, le 07.09.2024
Cher Jean-Gabriel,
Merci pour cet épisode 2 qui aborde des points intéressants sur l’usage, possible ou non, de l’e-mail comme moyen de communication entre un médecin et ses patients.
Ton idée de remonter à la FMH pour obtenir son avis sur cette question très pratique était très bonne. Le rôle de votre association faîtière est bien de vous donner un appui par des lignes directrices concrètes sur des questions de cette nature.
J’ai beaucoup aimé l’analogie que fait ton interlocuteur entre un courriel standard et une carte postale. Je la trouve tout à fait pertinente et tu l’as d’ailleurs mise toi aussi en exergue.
Mais, dans la réponse de la FMH, des éléments me laissent songeur. Alors qu’au début, celle-ci rappelle la position historique et plutôt stricte de l’association (pas d’envoi d’informations médicales par un courriel standard), elle nuance ensuite son propos en se basant sur le consentement du patient. A ce sujet, le médecin pourrait s’appuyer sur deux manifestations possibles de son accord : le formulaire de consentement signé par le patient (1) ou la demande par ce dernier de renseignements médicaux par le biais d’un courriel standard (2).
1) Le formulaire de consentement signé n’est pas une obligation juridique et, comme il est rappelé, le consentement peut rester informel (il n’a d’ailleurs même pas besoin d’être verbalisé pour être valable). Ce formulaire, très complet, très long, comprenant parfois des formulations très juridiques, manque de granularité. En effet, par une seule signature, il faut consentir à beaucoup des choses maintenant et à jamais. Et puis, dans la mesure où on ne se sent pas en bonne santé mais qu’on a obtenu un rendez-vous chez son médecin, qu’on s’est déplacé jusqu’au son cabinet, va-t-on oser le contrarier en refusant de signer ce formulaire de consentement ? Tout ça me donne à penser que le consentement alors donné par le patient par sa signature n’est pas forcément si libre et éclairé que cela.
2) Il est dit dans la réponse de la FMH, que ”le service juridique de la FMH nous a confirmé que si un patient écrit à son médecin depuis une adresse non-sécurisée avec un contenu médical, le médecin peut répondre par une voie non-sécurisée.”
Me référant à la position historique de la FMH, je ne pense pas que le médecin, comme tout autre professionnel de la santé, puisse adopter un comportement ‘à risque’ dans la mesure où son patient a lui-même adopté un comportement risqué. A mon avis, le professionnel de la santé se doit de continuer à agir en professionnel.
Reprenons l’analogie du courriel standard avec une carte postale et appliquons-la à la position du service juridique de la FMH. Est-ce qu’un médecin transmettrait des informations médicales sur une carte postale à un patient qu’il lui aurait posé des questions médicales par carte postale ? J’en doute…
Ainsi, je pense que l’usage des courriels standards pour échanger des informations médicales n’est pas une bonne idée, quel que soit l’avis ou la pratique des patients. En pratiquant de la sorte, les professionnels de la santé donnent aux patients un mauvais message, le message du “c’est pas grave puisque mon médecin le fait aussi”…
Et, si un patient a une fois demandé les résultats d’une formule sanguine simple où ceux-ci avaient de bonnes chances d’être tous dans les normes, il n’en sera pas forcément de même du compte rendu du scanner qu’il vient de passer…
On peut trouver beaucoup de défauts au dossier électronique du patient (DEP). Je n’en suis pas un fan inconditionnel et je n’en ai pas. Mais il constitue assurément un élément de réponse au partage sécurisé de données médicales entre les professionnels de santé et leurs patients.
A samedi prochain pour la suite du feuilleton, je me réjouis !
Cher Gilbert,
Je partage ton avis sur un point pas sur l’autre. Premier point, je te rejoins lorsque tu écris que la position de la FMH te laisse songeur. Tu as raison, d’un côté ils affirment que le mail entre médecins et patients doit être réservé à des questions administratives, d’un autre ils disent que l’utilisation est aussi possible pour l’envoi de données médicales. Leur position, c’est oui ou c’est non? A mon avis c’est plutôt non « mais si voulez quand même vous pouvez… » Mais je trouve que ce n’est pas le plus grave. Le plus grave, c’est le décalage entre cette position très « légaliste » et la réalité du terrain, ou formulé autrement, les besoins des médecins et des patients.
Le point que je ne partagé pas avec toi c’est le problème d’une communication soignants – soignés avec un système de courrier non sécurisé. Si nous avions un système sécurisé simple pour échanger avec les patients, je m’en réjouirais mais puisque ce n’est pas le cas, je préfère utiliser un système non sécurisé que de me priver d’utiliser ce canal pour échanger avec mes patients. Il y a bien sûr des problèmes, comme ces adresses mails « familiales » utilisées par toute la famille, ou en tout cas par Monsieur et Madame, mais après en avoir parlé 2-3 fois avec eux pour les mettre en garde, c’est pour finir leur choix. Et si l’information à transmettre est sensible, on fera venir le patient au cabinet. L’analogie avec le DEP est pertinente, on a construit un système très complexe et très sécurisé, mais qui n’est pas utile. Si l’on veut un impact sur la qualité des soins, une formation des médecins et une sensibilisation des patients, pour une utilisation intelligente du courriel, aurait un impact beaucoup plus grand.
Amitiés
Jean Gabriel