Pourquoi nous publions une série d’article sur l’intelligence artificielle (pour les médecins)

En étant déjà présente dans de nombreux secteurs d’activité, l’intelligence artificielle a un impact majeur sur notre quotidien, et les changements à venir seront certainement beaucoup plus marqués encore.  Est-ce que l’omniprésence de l’IA est un effet de mode ou le début d’un changement majeur ? Nous penchons plutôt pour la deuxième option. Comme de nombreux autres secteurs, la médecine va être touchée par ce tsunami.

L’objectif de cette série d’article est de transmettre aux professionnels de la santé les informations de base qu’ils doivent connaître sur l’intelligence artificielle, en particulier sur la forme dont on parle le plus actuellement : l’intelligence artificielle générative (donc sur des outils comme ChatGPT). Cela signifie connaître les applications utiles aux médecins, qu’ils sachent comment les utiliser, mais aussi qu’ils en connaissent les limites et les dangers.

A ce jour, nous prévoyons la publication de cinq articles :

  • 11 mai – Pour comprendre l’intelligence artificielle
  • 15 mai – Les dangers et les limites de l’intelligence artificielle
  • 18 mai – Les outils d’intelligence artificielle, ça sert à quoi ?
  • 22mai – Comment utiliser les outils d’IA générative ?
  • 25 mai – Comment rédiger un “prompt”, une requête ?

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Pourquoi cette série d’articles ?

Les raisons sont multiples.

La première est que l’on parle d’IA un peu partout mais il n’est pas très facile de trouver des informations utiles et pratiques : c’est quoi l’intelligence artificielle ? C’est quoi l’intelligence artificielle générative ? Pour un professionnel de la santé, à quoi ça sert ? Quels sont les dangers et les limites de ces outils ? Comment les utiliser ? Comment formuler une question pour obtenir des réponses de qualité ? Nous espérons répondre à toutes ces questions.

Deuxième raison, plusieurs études, y compris avec des données suisses, montrent que former les médecins à l’IA générative est une nécessité. Les auteurs d’une étude publiée dans le JMIR Medical Education écrivent :

Cette étude a révélé un écart prononcé entre l’utilisation d’applications basées sur l’IA (chat), telles que ChatGPT, parmi les étudiants en médecine en Allemagne, en Autriche et en Suisse, et l’enseignement de l’IA dans la formation médicale. Pour préparer correctement les futurs professionnels de la médecine, il est urgent d’intégrer l’enseignement de l’IA et de l’éthique de l’IA dans les programmes d’études médicales.

La troisième, toute simple : c’est l’ADN de CabinetMedical.ch que de transmettre aux médecins romands des informations utiles à la gestion de leur cabinet et à la prise en charge de leurs patients.

Et pour finir, la quatrième raison : les premiers tests que nous avons faits donnent souvent des résultats de qualité, même si certaines réponses sont imprécises ou même complétement fausses. Nous pensons surtout à l’utilisation de ces outils comme source d’information, pour répondre aux questions que nous nous posons face à nos patients. Pour un médecin, connaître l’IA générative est aussi utile pour savoir ce que ses propres patients qui maitrisent ChatGPT peuvent obtenir comme informations santé.

Vous trouverez ci-dessous trois exemples de réponses de ChatGPT, un exemple d’une question posée par un médecin, les deux autres par des patients.

Recherche d’informations sur la fibrillation auriculaire 

Imaginons la situation d’un médecin généraliste qui découvre une fibrillation auriculaire chez un patient, une situation qu’il n’a plus vécu depuis quelques années. Il souhaite donc se rafraichir la mémoire sur les examens à effectuer.

Question à ChatGPT 3.5 :

Je viens de découvrir une fibrillation auriculaire chez un de mes patients, merci de me dire quels bilans, quels examens effectuer?

Réponse de ChatGPT 3.5 :

Lorsqu’un patient présente une fibrillation auriculaire (FA), il est essentiel de procéder à une évaluation complète pour déterminer la cause sous-jacente, évaluer les risques thromboemboliques et planifier une stratégie de prise en charge adaptée. Voici les principaux bilans et examens à considérer :

  1. Anamnèse et Examen Clinique : Recueillez les antécédents médicaux complets du patient, y compris les symptômes, les facteurs de risque cardiovasculaire (comme l’hypertension, le diabète, l’obésité, etc.), les antécédents de maladies cardiaques et les médicaments pris. Un examen clinique approfondi permettra de détecter d’éventuelles anomalies cardiaques ou autres pathologies associées.
  1. Électrocardiogramme (ECG) : L’ECG est l’examen initial essentiel pour confirmer le diagnostic de FA. Il permet également de déterminer le type de FA (paroxystique, persistante ou permanente) et d’évaluer la fréquence cardiaque.
  1. Échocardiographie : Une échocardiographie transthoracique (ETT) est recommandée pour évaluer la structure cardiaque, la fonction systolique et diastolique, ainsi que pour détecter la présence de caillots (thrombus) dans l’oreillette gauche.
  1. Holter ECG ou Moniteur Event Recorder : Ces dispositifs permettent d’enregistrer l’activité électrique du cœur sur une période prolongée, ce qui peut être utile pour documenter les épisodes de FA paroxystique.
  1. Analyses de Sang : Des tests sanguins peuvent être réalisés pour évaluer les marqueurs de lésions myocardiques (troponine), la fonction rénale (créatinine), les électrolytes (potassium, magnésium) et le statut thyroïdien (TSH).
  1. Évaluation du Risque Thromboembolique : Utilisez des outils d’évaluation du risque thromboembolique tels que le score CHA2DS2-VASc pour estimer le risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) chez les patients atteints de FA. Des examens complémentaires comme l’imagerie cérébrale peuvent être indiqués dans certains cas.
  1. Évaluation du Risque Hémorragique : Utilisez des scores tels que le score HAS-BLED pour évaluer le risque hémorragique chez les patients sous traitement anticoagulant.
  1. Tests de Fonction Thyroïdienne : Étant donné que l’hyperthyroïdie est une cause réversible de FA, des tests de la fonction thyroïdienne (TSH, T4 libre) peuvent être indiqués.
  1. Autres Examens : Selon les résultats de l’évaluation initiale et les facteurs de risque spécifiques du patient, d’autres examens peuvent être nécessaires, tels que la tomodensitométrie cardiaque pour évaluer la présence de maladies coronariennes ou d’anomalies structurelles.

Une fois que tous les résultats sont disponibles, une approche individualisée de la prise en charge de la FA peut être établie, comprenant des options telles que la pharmacothérapie (anticoagulants, antiarythmiques), l’ablation par cathéter, ou d’autres interventions selon les besoins spécifiques du patient.

Trois remarques pour cet exemple: 1) La réponse nous semble plutôt pertinente, en tout cas nettement meilleur que ce que l’on aurait obtenu avec un simple moteur de recherche. 2) Cette réponse a été obtenue avec une requête formulée de façon très simple, trop simple. 3) Même si cette affirmation peut sembler paradoxale, l’utilisation d’outils comme ChatGPT est plus intéressante pour les domaines pour lesquels on a déjà une certaine connaissance. Si je pose une question à ChatGPT sur la physique quantique, je serai incapable de savoir si sa réponse est de qualité ou non, en médecine, mes connaissances me permettent d’être plus critique.

Quel est le poids idéal ?

Un exemple d’une question d’un patient qui souhaite savoir quel est le poids idéal. Dans cet exemple encore, la question est posée de façon très simple.

Question à ChatGPT 3.5 :

Quel est le poids idéal ?

Réponse de ChatGPT 3.5 :

Le poids idéal dépend de plusieurs facteurs, notamment l’âge, le sexe, la taille et la constitution corporelle. Une mesure couramment utilisée pour estimer si une personne a un poids santé est l’indice de masse corporelle (IMC). L’IMC est calculé en divisant le poids d’une personne (en kilogrammes) par sa taille (en mètres) au carré. 

Selon l’Organisation mondiale de la santé, un IMC sain se situe entre 18,5 et 24,9. Un IMC inférieur à 18,5 peut indiquer que la personne est en sous-poids, tandis qu’un IMC de 25 ou plus peut indiquer un surpoids. Un IMC de 30 ou plus est considéré comme obèse.

Cependant, l’IMC n’est pas une mesure parfaite et ne tient pas compte de la répartition de la graisse corporelle ou de la masse musculaire. Par exemple, une personne très musclée peut avoir un IMC élevé sans être en surpoids. 

Il est toujours préférable de discuter de votre poids et de votre santé en général avec un professionnel de la santé. Si vous souhaitez discuter de votre poids avec un médecin, je peux vous aider à trouver un médecin généraliste près de chez vous. Souhaitez-vous que je fasse cela ?

 

En lisant ce type de réponses, je me dis parfois que les réponses de ChatGPT sont plus complètes, plus précises, que ce que je réponds moi en en consultation à mes patients pour des telles demandes.

« J’ai mal à la tête, un peu de nausées aussi… »

Ce troisième exemple est aussi une situation d’un patient qui interroge ChatGPT. J’ai eu l’occasion de tester une version de ChatGPT développée par une société suisse, basée sur ChatGPT 4.0 mais enrichi d’informations santé. Nous avons imaginé le scénario d’un patient qui a une consommation excessive d’alcool mais sans jamais le mentionner dans la question.

Le patient signalait juste avoir souvent le matin, « mal à la tête et des nausées ». Pour un médecin, le lien avec une consommation d’alcool se fait rapidement, j’ai tout de même été surpris que, dans sa réponse, ChatGPT évoque cette piste comme problème potentiel. Il était aussi intéressant de voir que parmi différents conseils, l’outil proposait au patient de consulter son médecin.

Comme il est possible de « converser » avec ces outils, nous avons poussé le test plus loin en imaginant un patient qui banalise sa consommation. Étonnamment, l’outil ne s’est pas laisser influencer par cette réponse et a redit dans sa réponse que la consommation excessive d’alcool pouvait être la cause des symptômes, il a une fois encore conseillé au patient d’en parler avec son médecin.

Même si ces outils ont mille défauts et que des recherches supplémentaires sont absolument nécessaires pour préciser leurs possibles utilités en médecine, la pertinence des réponses donnent parfois l’impression que c’est un humain, avec une expertise certaine, qui nous répond.

C’est pour tout cela que nous publions cette série d’articles, nous espérons qu’ils vous seront utiles.

Jean Gabriel Jeannot, le 08.05.2024